Maroc : Ali Aarrass, un ex-prisonnier dénonce des « tortures abjectes »

Ali Aarrass affair

Le Belgo-Marocain Ali Aarrass a dénoncé les « tortures abjectes » qu'il a subies lors de sa détention au Maroc entre 2008 et 2020. Dans son témoignage, publié sur le site de la RTBF, il raconte comment les services de sécurité marocains ont obtenu des aveux, grâce aux traitements inhumains que Ali Aarrass dit avoir subis.

Ali Aarrass était accusé de trafic d'armes au profit d'une organisation djihadiste. En vacances familiales dans l'enclave espagnole Melilla, la police espagnole l'arrête après un mandat d'arrêt lancé contre lui par les autorités marocaines. C'était en 2008, l'année du début du cauchemar pour Ali Aarrass qui sera extradé vers le Maroc malgré le non-lieu décidé en Espagne par le juge antiterroriste Baltasar Garzón.

Son témoignage est effarant. Il raconte avoir subi de la torture pendant quatre jours. Aujourd'hui, il rejette même les aveux qu'il a faits à cette époque. « Ils ont l’habitude de torturer, de massacrer, et ce n’est qu’après qu’ils te posent des questions. Les scènes de torture sont horribles, abominables, inhumaines. On ne peut pas dire que ce sont des aveux, parce qu’à force de torture, après quatre jours, quand je n’ai pas cessé de leur dire que je n’avais rien à voir avec ces accusations, et ces armes qu’ils cherchaient, je me suis dit il faut que j’invente quelque chose. Ce ne sont pas des aveux… C’est impossible de résister, avec ces techniques, ils finiront toujours par avoir gain de cause », témoigne Ali Aarrass devant le journaliste qu'il a reçu à son domicile bruxellois.

Un centre de détention secret où même les femmes sont torturées

Il cite même le centre utilisé par les services de sécurité pour torturer, celui de Temara, où même les femmes ne sont pas épargnées. « Temara, c’est un centre secret, un centre pénitentiaire secret qui est là spécialement pour torturer les citoyens et les citoyennes marocaines. Au moment où j’étais sous la torture, j’ai entendu les cris d’une femme… C’était horrible… C’était horrible de voir une femme crier et eux, ils étaient en train de rigoler. Pour moi ils étaient en train de la violer… C’est connu, ils font ça avec plein de gens, d’innocents pour en tirer des aveux. Le centre de Temara c’est un centre où l’on torture… Est-ce qu’on peut dire que c’est un Etat de droit, un Etat démocratique ? » s'offusque-t-il.

Le Belgo-Marocain en veut au gouvernement espagnol du Premier ministre José Luis Zapatero qui a permis son extradition. Il lui en veut pour sa complicité avec le Maroc, et quand il parle du Maroc, il vise les responsables. « Et quand on parle du Maroc, on parle du Roi Mohammed VI, et le directeur général de la sûreté marocaine, Abdellatif Hammouchi. Ils sont les responsables de ce massacre, et des tortures abjectes qui m’ont été faites », accuse-t-il, non sans dire sa détermination à continuer à se battre pour prouver son innocence et pour « dénoncer tous ces crimes de torture ».

La version des autorités marocaines

Du côté des officiels marocains, c'est un autre son de cloche. Pour Mohamed Ameur, l'ambassadeur marocain en Belgique, Ali Aarrass est un djihadiste qui est en train de détourner l'attention des médias et de certains politiques. Pour les autorités marocaines, il n'y avait aucun doute sur sa culpabilité et son appartenance à la mouvance islamiste.

« Avant même sa libération, il développe un stratagème pour détourner l’attention par rapport à son parcours djihadiste avéré. Ali Aarrass était l’artificier du groupe des Moujahidine, qui a mis son expertise en matière d’armes au service du groupe parce qu’il était un ancien de l’armée belge. Mais c’était aussi l’homme qui assurait le financement du groupe […] Ali Aarrass a introduit des dizaines d’armes au Maroc, avec l’intention de commettre des attentats », accuse le diplomate, en réponse aux questions du journaliste.

Il va même démentir les accusations de torture lancées par Ali Aarrass. « La question de la torture en 2011 a fait l’objet d’une expertise médicale qui a été ordonnée par le parquet, qui a désigné un collège de cinq médecins, qui ont examiné Ali Aarrass, et qui ont conclu qu’il n’y avait aucune trace ou lésions, par rapport à des accusations de torture », estime Mohamed Ameur.

L'ONU confirme la torture

Mais cette assertion du représentant diplomatique du Maroc à Bruxelles sera démentie par deux éléments troublants. Une vidéo tournée par un gardien de la prison de Salé en 2012 montre les traces de coups sur le dos de Ali Aarrass. Sa famille et ses avocats finiront par la diffuser en 2015, selon la même source.

D'autre part, un rapporteur spécial de l'ONU sur la torture a fait un rapport après une expertise médicale sur Ali Aarrass. Juan Mendez conclura que les marques sur son corps étaient compatibles avec ses allégations. Mieux encore, un groupe de travail sur la détention arbitraire a dénoncé « un procès non équitable » et des « aveux obtenus sous la torture ».

Enfin, Ali Aarrass purgera sa peine de 12 ans de prison. Sans remise de peine ni demande de grâce royale. Il sera libéré ensuite en avril 2020. Mais il lui a fallu plusieurs mois pour qu'il puisse repartir en Belgique. A Bruxelles, et à 59 ans, il vit avec sa femme et sa fille. Il tente de se reconstruire après tous les sévices subis dans les prisons de son pays.

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