Mémoire, immigration, partenariat économique, Sahel : ce qu'attend Macron de l'Algérie

Emmanuel Macron, en conférence de presse à Alger

C’est un président « conciliateur », aux mots bien choisis et à « la vision tournée vers l’avenir » qui s’est rendu jeudi, le 25 août, en Algérie pour une visite de 3 jours. En effet, on est loin de l’homme qui, il y a moins d’une année, reprochait au système « politico-militaire » algérien d'entretenir une « rente mémorielle » autour de la guerre d'indépendance. Reproche qui, rappelons-le, avait jeté un froid glacial sur les relations algréro-françaises. « Amitié », « respect », « coopération » sont, entre autres, les mots qui reviennent désormais dans son discours.

À l’évocation de cet incident qui eut lieu en septembre de l’année passée, Macron sera plus ou moins vague : « C’est une histoire d’amour qui a sa part du tragique, et il faut pouvoir se fâcher pour se réconcilier », dira-t-il devant une dizaine de journalistes, avant de s’étaler longuement sur sa vision de l’histoire commune des deux pays. Déjà, la veille, durant la conférence de presse qu’il avait donnée conjointement avec le chef de l'État algérien, il avait invité à « regarder le passé colonial avec beaucoup d’humilité ». « Le passé, nous ne l’avons pas choisi, nous en héritons […], mais nous avons la responsabilité de construire notre avenir pour nous-mêmes et pour nos jeunesses », avait-il suggéré.

Jugeant les relations franco-algériennes d’« amicales basées sur la confiance », il évitera scrupuleusement de s’aventurer sur des terrains glissants, à l’instar des droits de l’Homme et des détenus d’opinion, estimant que ça serait de « l’ingérence ». On l’aura compris : chat échaudé craint l’eau froide.

« Vérité et reconnaissance » au lieu de la repentance

Sur la question mémorielle, justement, « nous sommes comme sommés en permanence de choisir entre la fierté ou la repentance », dira Macron. Et d’ajouter : « Moi je veux la vérité et la reconnaissance ».

Évoquant les liens effectifs et irrémédiables entre l’Algérie et la France (les binationaux, les Français d’origine algérienne, les Algériens vivant en France, les Harkis, leurs descendants, etc.), il a assuré avoir, avec son homologue algérien, mandaté une commission mixte d’historiens, « 5 à 6 de chaque côté », à qui il sera « ouvert la totalité des archives allant de 1830 à 1962 », et ce – promesse de Tebboune, à croire Macron – également du côté algérien.

« Cette commission va pouvoir travailler sur tout : des premiers temps de la colonisation avec leur portée, leurs brutalités, leurs évènements si importants pour la nation algérienne, jusqu’à, par exemple, le travail qui a été fait sur les disparus », dira le Président français, ajoutant que ce travail d’ordre historique sera jalonné « avec des gestes communs ». Pour le locataire de l’Élysée, seul ce travail de la vérité et de la reconnaissance est à même de permettre de construire « un socle pour les relations à venir », sans quoi « on continuera à bégayer en permanence ».

« Du nouveau quant à la question ? » sommes-nous tentés d’interroger. Pas si sûr, puisque le choix des mots qui, du côté algérien, apaisent sans totalement guérir, et, du côté français, agacent sans trop fâcher, a toujours été la spécialité des présidents français, et Macron n’a fait ni mieux ni pire que ses prédécesseurs. Repentance ? Macron, qui s’est adonné à une dissertation d’ordre psychanalytique évoquant « refoulé », « fantasme » et « oubli », refusera tout simplement d’employer ce mot suggéré par un journaliste.

L’autre sujet qui fâche, et sur lequel la presse algérienne est longuement revenue ces derniers jours, est sans doute les essais nucléaires menés par la France, dans le Sud algérien, entre 1960 et 1966. Là-dessus, Macron a eu le mérite d’être plus ou moins direct : « Nous avons discuté de ce sujet qui, comme vous savez, fait l’objet d’une commission jointe […]. Les choses avancent en toute transparence », dit-il.

Concernant les victimes de ces mêmes essais, Macron a rappelé sa volonté de les indemniser, à condition, a-t-il précisé, que « chaque cas soit documenté ». C’est dire que rien n’est vraiment gagné, car si l’indemnisation est soumise à la loi dite « loi Morin », la tâche ne sera pas facile pour les victimes algériennes qui doivent répondre à certaines conditions dont avoir résidé sur les zones définies par décret où se sont déroulés les essais et d’avoir contracté une des 23 pathologies reconnues comme potentiellement radio-induites listées aussi par décret.

Pour une immigration choisie des Algériens en France

S’agissant des visas, objet de « beaucoup de tensions » entre les deux pays, le Président français a déclaré avoir longuement abordé le sujet avec son homologue algérien. « Nous partageons la même volonté, dit-il, qui est d’avoir une politique de lutte contre l’immigration clandestine ». Il sera question, selon lui, d’être « rigoureux » dans cette lutte. « Nous souhaitons une approche pour une immigration choisie », dira encore Macron, qui n’omettra pas d’énumérer les prioritaires : « Les familles des binationaux, les artistes, les sportifs, les entrepreneurs, … ». Bref, tous ceux qui, selon lui, « nourrissent les relations bilatérales ».

Les frais de visa ont également été abordés. Macron parlera, dans ce contexte, de simplifier les procédures, ce qui permettrait de réduire les délais et « d’éviter ainsi d’engager trop de frais ». En somme, mis à part les délais et les frais, rien de nouveau en la matière. Peut-être juste le remplacement d’« immigration sélective », qui a fait tant de mal à l’orgueil algérien, par « immigration choisie », qui semble plus digérable. Mais la France peut-elle faire mieux quand on connaît le nombre d’Algériens qui veulent fuir leur pays ?

Le gaz algérien, « une question européenne »

C’est au chapitre de la « coopération économique » que le Président français s’est montré plus efficace. À la question de savoir s’il a manifesté un intérêt de la France d’augmenter ses importations de gaz à partir de l’Algérie, Macron, en parfait économiste – vocation dont il se targue souvent –, a tenté de minimiser l’importance du partenaire algérien en la matière.

Explications : La France dépend peu du gaz. Dans son mix énergétique, le gaz ne représente que 20 %. Et dans cet ensemble, l’Algérie ne représente que 8 à 9 %. « Nous ne sommes pas dans la situation de beaucoup d’autres pays où le gaz algérien peut changer la donne », dira Macron, avant de dresser une sorte de cartographie de l’approvisionnement de la France en gaz : accroissement de l’approvisionnent via le gazoduc venant de la Norvège, diversification de ressources énergétiques, construction d’un nouveau terminal pour la réception de plus de gaz liquéfié au Havre…

Il souhaitera, néanmoins, qu’il y ait plus de coopération entre l’Algérie et l’Italie à travers le gazoduc qui lie les deux pays et dont la capacité maximale n’est pas encore atteinte (dans les 50 %, à en croire Macron), car, selon lui, « ce qui est bon pour l’Italie l’est pour la France », ainsi que « pour l’Europe ». Pour cet hiver, l’Hexagone est bien à l’abri du froid, laissera également entendre Macron, avant de conclure que « le sujet est européen ».

Métaux et terres rares : le but à peine avoué de la visite de Macron en Algérie ?

Ce que veut réellement la France ? « C’est consolider une coopération qui existe déjà entre les grands industriels », dira le Président français. Il citera, entre autres, le partenariat entre Total et Sonatrach qu’il souhaiterait développer ; et sur le plan « industriel » et sur le plan « recherches » en vue, entre autres, de « réduire les émissions » de gaz à effet de serre.

Macron évoquera également la volonté de son pays – et c’est peut-être là l’une des raisons principales de sa visite – de consolider la coopération sur un plan qui est l’un des enjeux de l’économie mondiale de demain (et d’aujourd’hui) : les métaux et les terres rares, « un immense levier géopolitique entre l’Algérie et la France », dira-t-il. Il est vrai que le véhicule de demain, en l’occurrence le véhicule électrique, ne se fera pas sans ces terres dites rares, sans compter d’autres technologies, à l’instar des smartphones, dont bien des composants sont issus de ces terres.

Start-up, du cinéma et du sport

Macron, en bon négociateur, usant du « donnant-donnant », ce sacro-saint principe du pragmatisme occidental qu’il manie à merveille, enchaînera avec ce qu’il a apporté dans ses bagages… « des paillettes », comme l'a écrit un internaute algérien.

Marcon parlera de start-up, de cinéma et de sport. Il est revenu sur le fond, doté d’un montant de 100 millions d’euros, qu’il a lancé lors du Sommet des deux rives qui, selon lui, permettra à la diaspora de mettre sur pied des projets en Algérie. « On veut lancer l’équivalent des écoles 42 (des établissements supérieurs dont l'objectif est de former des développeurs, NDLR) ». Il s’agit, selon lui, d’aider les jeunes à se former sur les métiers du digital, d’où la décision de « créer un grand incubateur qui sera connecté à d’autres incubateurs ».

S’agissant de la création cinématographique, Macron dira : « La culture et l’art sont au cœur de nos imaginaires. Nous les célébrons […] Il y a un an, jour pour jour, j’annonçais à Marseille notre volonté de créer des studios contemporains et de lancer des formations dans ces métiers, parce qu’il n’est d’avenir que s’il y a des récits d’avenir ». Plus ou moins poétique !

Profitant de l’occasion pour féliciter son homologue algérien de la réussite des Jeux méditerranéens d’Oran, Macron annonce, en outre, tout un programme en matière de formation, d’équipements, de développement au profit de sportifs algériens, programme qu’il a promis d’évoquer avec amples détails à Oran. Aussi y aura-t-il un partenariat dans le domaine universitaire et scientifique, notamment sur les plans « pandémique et climatique ». En cela, la crise sanitaire – dont le souvenir est encore vif – et les feux de forêt – dont nous continuons à faire les frais – y sont pour quelque chose.

Le Sahel, l'autre enjeu majeur de la visite de Macron en Algérie

Sur la guerre en Ukraine, Macron s’est montré confiant quant au bon sens algérien. « La nation algérienne s’est construite contre le colonialisme et l’impérialisme (et) la guerre en Ukraine est une guerre d’une puissance coloniale et impériale qui envahit un voisin », dira-t-il. Et d’ajouter : « J’en tire une conclusion simple : le peuple algérien ne peut être que contre une guerre coloniale […]. Il n’y a pas de doute là-dessus. »

Enfin, un sujet qu’on ne pouvait pas éviter : la poudrière Sahel, où la France est accusée de jouer à un jeu malsain. Là-dessus, Macron reconnaît d’emblée le rôle majeur que joue et que peut jouer l’Algérie dans cette région proie à l’instabilité. « L’Algérie a un rôle tout à fait clé dans le Sahel aussi bien géographiquement que politiquement », dira Macron, avant de s’étaler sur le fait que « les troupes françaises aient lutté contre le terrorisme au Mali et contre ce qui était un risque quasi avéré de sa partition ». « Sans les troupes françaises, il est à peu près sûr que le Mali ne serait plus un pays uni », dira-t-il.

Et à tous les Africains qui doutent de la bonne volonté et des bonnes intentions de la France pour le continent noir, Macron lancera : « votre avenir n’est pas l’anti-France. Peut-être que ça a été le combat de vos grands-parents et de vos parents […]. Avançons (donc !) ». Un discours qui, convenons-en, a de plus en plus de mal à convaincre !

En conclusion, dira un Algérien lambda, « de l’apaisement à moindres frais ».

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