De par son emplacement géographique très proche du continent africain, l’Espagne est l’un des pays européens qui attitrent le plus de migrants, Algériens y compris. Ils seront d’ailleurs environ 23'000 harraga à débarquer sur les côtes ibériques au cours de l'année 2022.
Seulement, ce ne sont pas tous les migrants qui ont cette « chance ». Beaucoup n’y parviennent pas et trop d'histoires finissent en drames. En effet, cette traversée de la Méditerranée, qui n’est censée durer que quelques heures, a vu la mort d'au moins 464 personnes dans 43 naufrages en 2022, contre « seulement » 191 morts en 2021.
Avec 1583 morts entre 2018 et 2022, cette voie est la « deuxième voie migratoire vers l’Espagne la plus meurtrière de ces 5 dernières années, derrière celle des Canaries ». Cette route migratoire demeure tout de même « invisible », en dépit de ces chiffres qui font froid dans le dos.
Qui sont véritablement ces « harraga » ?
Dans son dernier rapport intitulé « Mur de l’indifférence, la route algérienne en Méditerranée occidentale », Caminando Fronteras, un collectif qui défend les droits des personnes et des communautés en mouvement, atteste que cette route n’est très souvent décrite que par le prisme d’une route pour « migrants économiques » dont les aspirations sont très mal connues.
« En Espagne, on ne sait que très peu de choses sur l'Algérie. Et le peu que l’on connaît, ce sont des préjugés sur les personnes qui traversent la mer », souligne le rapport, basé notamment sur des entretiens avec des familles de victimes, des exilés, des représentants d’administration et des travailleurs sociaux en Algérie, en Espagne et en France.
Ainsi, dans ce rapport publié début février, après des mois d'enquête, l'ONG espagnole tient à « rétablir quelques vérités », mais surtout à combattre « quelques idées préconçues ».
Les rédacteurs dudit rapport établissent le profil des candidats algériens à l’immigration clandestine, qui sont majoritairement de « jeunes hommes algériens âgés de moins de 30 ans ». Ils ne sont pas uniquement des hommes célibataires. « Les groupes de personnes qui prennent cette route sont en réalité bien plus variés », note-t-on dans le même document, qui révèle, dans le même contexte, que ces embarcations de fortunes se remplissent également de familles entières fuyant le chômage et le manque de perspectives économiques12.
Autre profil de « harraga » : Les mères divorcées. Celles-ci voyagent seules ou avec leurs enfants, note encore le rapport de Caminando Fronteras qui donne, comme exemple édifiant, Hizia, cette mère de 39 ans qui a mis les voiles à partir d’Oran le 31 décembre 2021 en compagnie de ses deux enfants âgés de 9 et 14 ans. Malheureusement, Hizia et son plus jeune fils n’ont jamais mis foulé le sol du royaume ibérique. Ils n’ont jamais été retrouvés.
Se voyant dans l’incapacité de subvenir aux besoins de sa famille, Hizia a ainsi préféré s’exiler sous d’autres cieux. « Elle me disait souvent : je souffre, je n’ai rien. J’ai l’impression de vivre comme une esclave, ici. Mais jamais elle ne m'a dit qu’elle allait partir comme ça », témoignait sa sœur à Info Migrants3.
Cette femme oranaise ne serait pas la seule. Victimes de toutes formes d’abus et de violences, elles seraient des centaines d’autres à embarquer. « Certaines présentent [à leur arrivée en Espagne] des cicatrices sur leurs corps et des séquelles psychologiques » qui s’expriment par « des peurs » et « des traumatismes », note l’ONG espagnole.
D'adolescents harraga à mineurs isolés
Les hommes trentenaires et les femmes vivant des conditions difficiles ne sont pas les seuls à aspirer à une vie « meilleure » en Europe. Loin de là. Caminando Fronteras relève dans son rapport la présence régulière « d’adolescents qui voyagent seuls » et qui cherchent à rejoindre de la famille en Europe dans les embarcations de fortune.
« Je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucune solution pour moi en Algérie. J'avais étudié l'économie, mais avant de partir en mer, je travaillais en tant que vendeur de fromage sur un marché », témoigne un mineur algérien cité dans le rapport. Pour lui, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, il ne suffit pas d’avoir un diplôme en poche pour avoir un poste de travail.
Algérie, pays de transit vers l'Europe
Beaucoup de migrants venus d'Afrique subsaharienne ou de pays du Moyen-Orient prennent eux aussi la mer avec ces harraga vers l'Espagne. Certains transitent par le Maroc4, mais un certain nombre passe par l'Algérie. « D'autres nationalités commencent à apparaître dans les petits bateaux à moteur, à l’instar des ressortissants syriens, yéménites ou palestiniens », depuis fin 2021 notamment, est-il mentionné dans le rapport.
La liste s’agrandit en 2022, année durant laquelle des migrants originaires de pays d’Afrique de l’Ouest ont eux aussi été interceptés sur les plages du sud de l’Espagne, en provenance d’Algérie. Les plus chanceux débarquent sur les côtes andalouses, mais « surtout sur les plages des îles Baléares ».
« L'année 2022 confirme la consolidation de cet itinéraire qui débute le plus souvent dans la partie est de l’Algérie, depuis les villes d’Alger, de Tipaza, de Cherchell, de Béjaïa et de Jijel », écrit encore Caminando Fronteras.
Parties harraga vers l'Espagne : Trois femmes algériennes décèdent en mer ↩
Une femme enceinte trouve la mort en essayant de partir harraga en Espagne ↩
"Ils sont partis tous les deux dans le brouillard" : Nada, sans nouvelle de sa sœur et de son neveu de 9 ans disparus au large de l'Andalousie ↩
Drame de Melilla : Un documentaire de la BBC accable le gouvernement espagnol ↩