La France est en phase de vivre des mutations sociales qu’on peut, sans trop de risque de se tromper, qualifier de « révolutionnaires ». En effet, deux lois qui engagent fortement l’avenir du pays sont en train d’être discutées. Il s’agit de la loi sur l’immigration et l’asile et celle sur les retraites. Ces deux lois, à elles seules, sont à même de changer bien les choses pour des millions de Français, mais également pour des milliers – voire des millions – d’étrangers vivant en France sous différents statuts. Si pour les Français « de souche » et les naturalisés, les choses, en dépit des changements en cours, sont plus ou moins claires, c’est pour les étrangers que les calculs et les considérations semblent plus complexes.
La France, quoi qu’en dise, reste une terre d’accueil pour des millions d’immigrés. En plus de ceux déjà vivant sur son territoire, elle continue à en accueillir. Aussi, la loi sur l’immigration et l’asile que le gouvernement est en train de peaufiner va largement dans ce sens. Ladite loi, dans son volet « travail » – le volet le plus discuté – prévoit d'ailleurs la création d’une carte de séjour « métiers en tension ». Cette option est, à elle seule, en mesure de faciliter l’intégration d’un grand nombre de migrants. Aussi, d’en faire venir.
Près de 2 millions de travailleurs étrangers en France
Notons qu’en 2019, l'INSEE a recensé un peu plus de 1,7 million d'étrangers qui exercent un emploi en France. À la même année, l’on a compté 24,8 millions de travailleurs de nationalité française. À quoi donc ces personnes et bien d’autres peuvent-elles prétendre pour leurs vieux jours ? À quoi ont-ils droit en fonction du temps passé en France et de leur pays d'origine ? Et comment se protéger d'éventuelles anomalies dans le calcul de sa retraite ? Ce sont, entre autres, les questions que le site d’information InfoMigrants a posées à Antoine Math, un chercheur spécialisé dans la protection sociale à l'Institut de recherches économiques et sociales et membre bénévole du Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI).
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Retraite contributive : Français et étrangers ont quasiment les mêmes droits
Disons-le d’emblée, le pays d’origine de l’étranger vivant en France joue un rôle primordial dans l’équation de la retraite. À la question de savoir si un travailleur étranger et un travailleur français peuvent prétendre aux mêmes droits en France, Antoine Math a répondu : « En ce qui concerne la retraite contributive, on peut dire que c'est un des rares domaines de la protection sociale où, formellement en droit, les étrangers sont traités quasiment à égalité avec les nationaux ».
Cependant, explique le chercheur, il existe une inégalité : c’est qu’au moment où une personne étrangère demande sa retraite, « il faut qu'elle justifie de la régularité de son séjour ». En d’autres termes, elle peut avoir cotisé pendant 40 ans et si, à ce moment précis, elle n'a pas de titre de séjour, quelle que soit la raison, elle ne touchera pas de retraite.
Étrangers de France : des carrières hachées et des emplois précaires
Aussi, précise Antoine Math, dire qu'il y a une égalité de droit à la retraite ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'énormes inégalités dans la pratique. « Les étrangers, pour plein de raisons, ont des retraites beaucoup plus faibles que les nationaux », assure-t-il.
Expliquant l’essence même de la retraite – l'aboutissement de toute une vie –, le chercheur défend l’idée selon laquelle les étrangers ont des parcours particuliers. « On sait par exemple qu'ils sont surreprésentés dans les emplois précaires, notamment en ce qui concerne les ouvriers non qualifiés. Il y a beaucoup d'étrangers avec des carrières hachées, incomplètes et de faibles salaires. Tout cela va se manifester sur leurs retraites », assure le chercheur.
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Et d’ajouter : « le déclassement que subissent les étrangers sur le marché du travail en France est une autre raison. Leurs salaires d'embauche sont plus faibles et les licenciements sont plus fréquents au sein de cette catégorie de population. Les conditions de travail sont par ailleurs souvent plus difficiles dans les secteurs qui emploient des étrangers et peuvent conduire à davantage de maladies ou même à des situations de handicap. Il y a également des discriminations à l'embauche et des discriminations en cours de carrière (lorsqu'un salarié étranger n'est pas promu, par exemple) ».
Des employeurs indélicats et des étrangers ne connaissant pas leurs droits
Cela sans oublier le fait que, dans certains secteurs qui emploient nombre d'étrangers, comme le bâtiment, il y a bien des employeurs indélicats et les étrangers, regrette le chercheur, qui malheureusement ne connaissent pas leurs droits. « Il arrive que les employeurs ne paient pas les cotisations retraites, ce qui fait que leurs employés, quand ils atteignent l'âge de la retraite, se rendent compte qu'il leur manque un, deux, trois ans, parfois plus, dans leur relevé de carrière », dit-il. Et au chercheur de préciser : « ils s'aperçoivent alors que les cotisations n'ont pas été versées, ou pas complètement, par leur employeur. Et, dans ces cas-là, une fiche de paie ne vaut pas preuve de travail et ne permet pas de rattraper le coup ».
Antoine Math recommande aux étrangers de se poser les bonnes questions, dont la suivante : « est-ce que mon employeur verse des cotisations ? » Car, il est possible de demander à l'URSSAF, ou à la caisse de retraite de Sécurité sociale française (CNAV) le relevé de carrière. « Il ne faut pas attendre d'avoir 50 ans pour s'occuper de ça. Il faut aussi faire attention aux fiches d'impôts préremplies : si vous constatez une anomalie dans le montant prérenseigné, c'est qu'il y a un problème », déclare-t-il, en assurant que ces conseils valent aussi pour les travailleurs sans papiers qui travaillent pour un employeur légal, souvent sous une fausse identité », conseille le chercheur.
Accords entre la France et des pays tiers : l’Algérie, le Maroc et la Tunisie en font partie
InfoMigrants n'a pas omis de s'interroger sur les étrangers qui arrivent en France en milieu ou encore en fin de carrière. « Un étranger arrivé sur le territoire français à l'âge adulte ou à un âge avancé n'aura pas travaillé suffisamment en France pour pouvoir avoir une retraite à taux plein. Mais si cette personne a travaillé dans d'autres pays avant d'arriver en France, cette activité peut être prise en compte au moment du calcul de la retraite, à condition que le pays où cette activité a été exercée ait passé des accords en ce sens avec la France », explique le chercheur.
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Antoine Math, outre les pays de l'UE, cite l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Andorre, l’Argentine, le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Brésil, le Cameroun, le Canada, le Cap-Vert, le Chili, le Congo, la Corée du Sud, la Côte d'Ivoire, les États-Unis, le Gabon, les Îles anglo-normandes, l’Inde, Israël, le Japon, le Kosovo, la Macédoine, le Mali, la Mauritanie, Monaco, le Monténégro, le Niger, les Philippines, le Québec, le Sénégal, la Serbie, le Togo, la Turquie et l’Uruguay. « Si accord il y a, les périodes travaillées dans d'autres pays peuvent être prises en compte, mais il s'agira simplement d'une atténuation des pertes financières. Il ne faut pas idéaliser ce dont je parle : vous allez être pénalisé quand même si vous n'avez pas une carrière complète en France », explique Antoine Math.