Commission mixte d’historiens franco-algériens : Réactions mitigées des spécialistes

Montage : Emmanuel Macron sur fond d'une photo de la Guerre d'Algérie

De toutes les annonces faites durant la visite du Président français en Algérie, c’est la Commission mixte d’historiens chargée de "dépoussiérer les archives" qui fait plus polémique. Des spécialistes de la colonisation se montrent sceptiques quant à cette démarche, les uns doutant de son utilité, d’autres de sa visée réelle.

Sylvie Thénault, historienne et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), estime qu’ "il y a quelque chose de l’ordre de la stratégie politique" dans cette démarche. Ça consiste, selon elle, "à faire des annonces sans avoir travaillé les projets dans le détail". Dans une déclaration qu’elle a accordé à Middle East Eye, cette historienne voit dans ce projet un moyen pour la France de se rapprocher conjoncturellement de l’Algérie afin de chercher son appui au Sahel et augmenter les livraisons de gaz après l’arrêt des approvisionnements russes. "Emmanuel Macron et ses conseillers pensent que ce rapprochement ne peut pas avoir lieu sans solder le contentieux sur le passé", a-t-elle ajouté.

L’historien Fabrice Riceputi, chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent et co-animateur du site 1000autres.org, qui enquête sur les disparitions forcées pendant la "bataille d’Alger", ne voit pas non plus quelle est l’utilité de la commission mixte d'historiens. "Depuis 30 ans, une masse de travaux a été faite sur tous les aspects de l’histoire de l’Algérie coloniale et la guerre d’indépendance. L’essentiel est déjà bien connu et ces travaux font consensus parmi les historiens du monde entier, en particulier entre les historiens algériens et français pour décrire la conquête coloniale, la spoliation des terres, les révoltes et leur répression sanglante, les massacres, la torture, les disparitions forcées. On ne peut pas faire comme si tout ceci n’était pas connu", fait-il remarquer.

Des spécialistes français et algériens discutent la Commission mixte d'historiens

Par ailleurs, l’historien trouve "parfaitement inadmissible" de choisir un groupe d’historiens pour travailler sur les archives coloniales. "En France, les archives nationales sont la propriété des citoyens et pas du président de la République. Celui-ci n’a pas autorité pour désigner les personnes qui doivent les consulter", plaide-t-il.

Du côté algérien, les avis ne différent pas trop quand on évoque la Commission mixte d'historiens. Beaucoup d’historiens et d’auteurs ont déjà exprimé des doutes quant à la démarche proposée par le Président français. Dans un texte publié sur les réseaux sociaux, l’écrivain Amin Khan a estimé que cette commission est une "fausse bonne idée car si l’objectif est d’aboutir à une véritable connaissance de cette période historique, celle-ci ne pourra se former que par l’avancée du travail des historiens algériens à partir de leur(s) point(s) de vue et par l’avancée du travail des historiens français à partir de leur(s) point(s) de vue".

Dans une interview publiée sur le site de France Info, l’historien et chercheur au Crasc d’Oran Amar Mohand-Amer a, lui, déjà mis en garde contre l’instrumentalisation idéologique de l’histoire et plaide pour l’autonomie de l’historien : "S’il n’y a que des historiens organiques et consensuels, on n’ira pas bien loin", prévient-il. "Pour un historien, contrairement aux hommes politiques, il ne doit pas y avoir de sujets qui fâchent".

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