Régularisations massives en Europe : Des occasions de rêve pour les sans-papiers

Marche des sans-papiers en France

Pour des milliers d’Algériens et autres ressortissants des pays de la rive sud de la Méditerranée, vivant "au noir" sur le territoire européen, la régularisation massive est une chance souvent inespérée. Il s’agit avant tout de "sortir de l’ombre", d’ "avoir une identité",  de "renaître", d’ "être"…

Il y a quelques décennies de cela – quatre à cinq –, on les appelait des "clandestins", un mot apparu dans le vocabulaire politique et administratif français à la fin du XIXe siècle. C’était venu avec les premières mesures définissant les conditions du "droit au séjour" des étrangers.

"Sans-papiers", par contre, est un terme forgé par les premiers concernés pour dénoncer leur situation. Le terme se généralise à partir des années 1970, en particulier lors de la mobilisation contre les circulaires Marcellin-Fontanet (1972-1973) qui lient contrat de travail et titre de séjour. C’était une façon de dire que derrière le "clandestin" rasant les murs, il y a un être humain à qui ne manque qu’un "bout de papier" pour exister. Pleinement.

300.000 à 400.000 sans-papiers rien qu’en France

S’en suivirent des mobilisations et des mouvements de solidarité qui ont pu fléchir les gouvernements. En France, l’on a procédé à des régularisations sporadiques à l’instar des 130.000 étrangers régularisés en 1981-1982 et des 76.500 en 1997-1998. Cependant, on est loin de solutionner le problème, devenu aussi bien sujet qu’objet de négociations entre les pays du sud et ceux du nord de la Méditerranée. Aujourd’hui, les estimations portent à 300.000 ou 400.000, le nombre de personnes qui seraient en situation irrégulière dans le seul Hexagone. Ce genre d’opérations auxquelles procèdent nombre de pays européens, ne relève pas uniquement de la charité : les pénuries de mains d’œuvre y sont pour beaucoup.

L’Espagne, dont l’économie est plus ou moins faible comparativement à d’autres pays européens comme la France et l’Allemagne, vient tout juste d’annoncer son intention de procéder à une régularisation massive des sans-papiers. Annoncées fin juillet, les mesures de cette régularisation visent, selon les spécialistes, à reconnaître et à valoriser l’économie souterraine qui règne dans le pays. Elles permettront à des milliers d’étrangers en situation irrégulière de vivre en toute légalité, en étant déclarés et en jouissant de tous les droits liés au travail.

L’Allemagne, nouvelle championne des régularisations

L’Espagne, faut-il le noter, connaît une pénurie de main d’œuvre, notamment dans le BTP et le tourisme. Et pour pallier efficacement à cette pénurie, il a été aussi décidé de permettre aux étudiants étrangers de travailler à hauteur de 30 heures par semaine. Ce pays n’est pourtant pas le "paradis de l’embauche", puisque lui-même souffre de niveaux assez élevés de chômage. Au deuxième trimestre de l’année en cours, il était de l’ordre de 12,48%, en recul, comparativement à la fin mars quand il était à 13,65%. Au total, 2,92 millions de personnes étaient inscrites au chômage fin juin dans la quatrième économie de la zone euro, soit 255.000 personnes de moins que fin mars, selon l'Institut national de la statistique.

Outre le pays ibérique, un autre pays européen, et des pas des moindres, a procédé à une opération de régularisation massive au grand bonheur des sans-papiers. Il s’agit de l’Allemagne, la locomotive de l’économie européenne. En effet, ce pays a récemment exprimé sa volonté de régulariser quelques 130.000 sans-papiers. Toutefois, pour exercer ce droit, les personnes en situation irrégulière doivent avoir les moyens financiers pour aspirer à bénéficier d’un titre de séjour d’une durée d’une année renouvelable.

En fait, la régularisation en question se fait en deux étapes. Les sans-papiers concernés auront, en premier temps, accès à un permis de séjour d’un an, pour leur permettre de faire, en quelque sorte, leurs preuves. Ils devront prouver leur aptitude à suivre le train de vie allemand et justifier leurs capacités financières durant cette période d’un an. S’ils y arrivent, l’Allemagne leur accordera, en deuxième temps, le titre de séjour définitif qui leur permettra de s’établir de manière durable sur le sol allemand. Des facilitations dans le cadre du regroupement familial et de l’asile sont également prévues par la loi.

La France, le pays où la question des sans-papiers est la plus politisée

A rappeler que jusqu’à 2006, les termes de "régularisation de sans-papiers" étaient inconnus du vocabulaire politique allemand. Aucune opération de régularisation suite à une décision politique, à l’instar de celles qui se sont déroulées en France en 1981/82 puis en 1997/98, ou plus récemment en Espagne et en Italie n’avait eu lieu. Il n’existait pas non plus, dans les textes, des dispositions permettant, de fait, une régularisation "automatique" comme le permettait l’ancienne "règle des dix ans" introduite dans le droit français par la loi Chevènement de 1998, et supprimée par la deuxième "loi Sarkozy" de juillet 2006.

Cela n’a pas empêché l’Extrême droite française de prendre ce pays pour un exemple à suivre en matière d’immigration. C’est ainsi, par exemple, que Marine Le Pen a voulu démontrer, en début d’année 2021, que la France, comparativement à l’Allemagne, était trop laxiste avec les étrangers en situation irrégulière. "Les obligations de quitter le territoire en Allemagne, c’est 90 %. Quand ils décident que quelqu’un doit partir, à 90 % la personne part. Nous, quand on décide que quelqu’un doit partir, à 12,6% il part", a-t-elle déclaré sur France2. En plus de se tromper sur les chiffres (les décisions d’expulsion sont de l’ordre de 53%, et non pas 90%), Marine Le Pen a oublié de préciser quelque chose qui change tout : alors qu’en France, un constat de situation irrégulière entraîne quasi automatiquement une obligation de quitter le territoire, en Allemagne cela ne concerne que 40 % des cas. En effet, dans 60 % de cas, les autorités, quand elles constatent qu’une personne est en situation irrégulière, vont d’abord chercher à régulariser la situation avant de prononcer une expulsion.

Il faut aussi dire qu’en France, le pays le plus "affectionné" par les Algériens désireux de vivre sous des cieux plus cléments, la question de l’immigration est hautement politisée. Les débats quant à l’identité, à l’Islam, au burkini et autres sujets du genre, occupent souvent le devant de la scène politique. Entre défenseurs d’une France "blanche" et chrétienne et une France laïque et multiculturelle, l’essentiel se perd. Entre une France débarrassée de son complexe d’ex-puissance coloniale avec toute la charge de culpabilité que cela sous-entend et une France soucieuse de réparer un tant soit peu les erreurs du passé, l’ "humain" se perd.

Les sans-papiers, un sujet électoraliste en Europe

Quand on lit les médias français, notamment ceux de gauche, on se rend compte à quel point la cause des sans-papiers est loin d’interpeller les politiques. Même la crise sanitaire, qui a montré à quel point les sans-papiers étaient utiles, et même indispensables pour certains secteurs, n’a pas amené le gouvernement français, fortement influencé par la droite, à de meilleurs sentiments à l’égard de cette catégorie fragile. C’est pourtant suite à cette même crise que la solidarité (appelons-la "humaine") devrait se manifester.

Au lieu de cela, on fait appel à des mesures de coercition à dissuader les plus endurants. Le seul projet proposé par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, concernant l’immigration, vise d’ailleurs à criminaliser davantage les étrangers. Il propose, entre autres, des mesures permettant d’expulser les étrangers dits "délinquants" et de faciliter l’expulsion des personnes faisant l’objet d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). La France est pourtant mieux placée que l’Espagne, du moins sur le plan économique. Elle est aussi plus "redevable" à l’Afrique – notamment à l’Afrique du Nord – que l’Allemagne. Mais il est clair qu’elle a fait le choix d’instrumentaliser la misère des sans-papiers à des fins électorales, la droite jurant de n’en laisser aucun et la gauche populiste de n’en chasser aucun. C’est dire que les 300.000 ou les 400.000 sans-papiers "français" ne sont pas près d’être régularisés. Pas tous, en tout cas.

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