Il y a plus d'aéroports en Angleterre que d'avions dans le ciel algérien

KSFO (San Francisco airport), nuit, timelapse

Vous avez peut-être déjà entendu cette blague : il y a plus de moutons que d'habitants en Nouvelle-Zélande. Mais saviez-vous qu'il y a aussi plus d'aéroports en Angleterre que d'avions dans le ciel algérien ? Ce n'est pas une plaisanterie, mais une réalité qui illustre le retard du transport aérien en Algérie par rapport à d'autres pays. Quelles sont les raisons de ce constat ? Quelles sont les perspectives pour le transport aérien en Algérie ? C'est ce que nous allons voir dans cet article.

L'Angleterre compte 142 aéroports privés ou publics1, tandis que l'Algérie n'en possède que 322, 18 inscrits comme aéroports internationaux et encore moins en fonction. Selon les données partagées par la Banque Mondiale, le Royaume-Uni a vu le transport aérien de 165 millions de passagers durant l'année 20183, tandis que l'Algérie n'en a transporté que 6,7 millions à son plus haut, en 20194, soit 25 fois moins. Quant au nombre de vols, il est de 2500 par jour en moyenne en Angleterre, contre 150 en Algérie. Comment expliquer un tel écart ? Au moment où nous rédigeons cet article, il y a environ 8 avions commerciaux dans le ciel algérien. En Angleterre, par contraste, le trafic est bouillonnant.

Carte de tous les avions dans le monde à un instant précis : 2023-04-19
Taille de tous les avions. Source : ADS-B Exchange.

Pourquoi le transport aérien est-il sous-développé en Algérie ?

La différence significative entre le nombre d'aéroports et de vols entre l'Angleterre et l'Algérie peut s'expliquer par plusieurs facteurs économiques et politiques. Tout d'abord, l'Angleterre est un pays développé avec une économie stable et diversifiée, ce qui permet d'investir davantage dans l'infrastructure aéroportuaire et de financer une plus grande quantité de vols. En revanche, l'Algérie a subi des périodes d'instabilité politique et économique, qui ont affecté son développement et son potentiel d'investissement dans les infrastructures.

En outre, les politiques de transport aérien jouent également un rôle important. Les pays développés ont généralement des politiques plus favorables à l'industrie aérienne, avec des réglementations et des taxes aéroportuaires qui encouragent les compagnies aériennes à desservir plus de destinations et à offrir des tarifs compétitifs.

En revanche, les politiques de transport aérien en Algérie peuvent être moins attractives pour les compagnies aériennes, ce qui limite leur présence dans le pays. Pour commencer, les autorités publiques imposent un principe de réciprocité aux compagnies étrangères, ce qui implique que le nombre de vols opérés par les compagnies aériennes vers la destination Algérie est limité par le nombre de vols que peuvent assurer les compagnies algériennes, en l'occurrence Air Algérie et Tassili Airlines.

Il en va de même pour l'investissement étranger en Algérie, qui est soumis à la règle du 50-50 et qui oblige les entreprises étrangères à trouver autant de financement local qu'elles en apportent de l'extérieur avant de pouvoir s'implanter dans le pays. C'est d'ailleurs le cas du projet WestAf Algérie, qui tarde à voir le jour.

L'histoire du transport aérien en Algérie et en Angleterre

L'Angleterre a joué un rôle important dans le développement de l'aviation et du transport aérien. Elle a été le théâtre de nombreux exploits aéronautiques, comme le premier vol transatlantique sans escale, en 1919, et la mise en service du premier avion de ligne à réaction, en 1952. Elle a également contribué à l'essor du transport aérien commercial avec la création de la première compagnie aérienne régulière en 1924, Imperial Airways. De plus, la fondation de la Royal Air Force en 1918 a permis à l'Angleterre de devenir un acteur majeur de l'aviation militaire.

Les premières liaisons commerciales aériennes pour le transport de courrier et de passagers ont débuté après la Première Guerre mondiale. En 1919, le pionnier Henri Farman a inauguré une liaison en trois heures et demie entre les aéroports de Toussus-le-Noble, près de Paris, et Kenley, près de Londres. On peut également noter que dès 1888, l'inventeur allemand Gottlieb Daimler a motorisé avec succès son ballon dirigeable Daimler, ce qui est considéré comme un des premiers vols motorisés historiques de l'histoire de l'aviation. Après la Seconde Guerre mondiale, le transport aérien en Angleterre connaît un essor considérable, grâce à l'innovation technologique, à la libéralisation du marché et à la croissance de la demande.

Le transport aérien en Algérie est, quant à lui, né sous l'impulsion de la France coloniale, qui voulait relier l'Algérie à la métropole et aux autres territoires d'Afrique du Nord. Les premiers vols commerciaux ont eu lieu dans les années 1920, avec la création de la Compagnie générale aéropostale, qui assurait le transport du courrier et des passagers. En 1933, la compagnie Air France est créée et prend le contrôle du transport aérien en Algérie. En mai 1953, la Compagnie générale des transports aériens – créée en 1946 pour effectuer des charters entre l'Algérie et l'Europe – et la Compagnie Air Transport – une filiale d'Air France – fusionnent et forme la Compagnie générale de transports aériens Air Algérie.

C'est avec la découverte du pétrole dans le Sahara, en 1955, que le transport aérien de personnes et de marchandises connaît une forte croissance. Cette croissance est aussi dynamisée par la Guerre d'Algérie. Ainsi, un réseau très fourni se développe au Sahara, tandis qu’une liaison aérienne intensive est établie sur la Méditerranée. Cette liaison atteindra son pic d’activité lors du retour des pieds-noirs en France en 1962.

Après l'indépendance de l'Algérie en 1962, l'État algérien devient actionnaire d'Air Algérie à hauteur de 31 %, cédées par Air France. Depuis lors, l'État algérien continuera à grignoter des parts jusqu'à en être le seul actionnaire en 1972. Durant tout ce temps, Air Algérie a connu plusieurs phases de développement et de crise, liées à la situation économique et politique du pays. Mais durant toute cette période et jusqu'à présent, le secteur aérien et toute l'industrie aérienne sont restées la chasse gardée de l'État algérien.

Monopole d'Air Algérie et contrôle exclusif de l'État

Ainsi, en Algérie, le transport aérien est régi par un cadre juridique et réglementaire qui donne à l'État le contrôle exclusif de ce secteur stratégique. L'État détient la totalité du capital d'Air Algérie, ainsi que celui de l'Entreprise nationale de navigation aérienne (ENNA), qui gère le trafic aérien et les services aéroportuaires. L'État fixe également les tarifs des billets d'avion5, les taxes aéroportuaires et les droits de trafic.

Cette situation crée un monopole de fait de l'État sur le transport aérien en Algérie, qui entrave la concurrence, l'innovation et la qualité des services. Le monopole de l'État empêche l'émergence d'une offre diversifiée et adaptée aux besoins des voyageurs. Il freine également le développement du transport aérien régional et international, en limitant les possibilités de coopération avec les compagnies étrangères. Le monopole de l'État favorise aussi le gaspillage des ressources publiques, en subventionnant une compagnie qui peut être déficitaire ou inefficace.

Les investisseurs privés revendiquent depuis longtemps le droit d'entrer dans le secteur de l'aérien en Algérie, afin d'apporter leur savoir-faire, leur dynamisme et leur compétitivité. Ils affirment être capables de créer des compagnies aériennes rentables, modernes et sécurisées, qui offriraient plus de choix, de confort et de meilleurs prix aux voyageurs. Un point qui devrait changer dans les prochaines années avec l'ouverture annoncée – et effective – du secteur aérien aux entreprises privées.

Transport aérien sous-développé en Algérie : Quelles conséquences ?

Pour relancer le secteur aérien en Algérie, plusieurs solutions sont possibles, telles que l'augmentation de l'investissement dans l'infrastructure aéroportuaire, la mise en place de politiques de transport aérien plus efficaces, la promotion du tourisme, la facilitation des voyages, la mise en place de réglementations favorables aux compagnies aériennes et la formation de ressources humaines qualifiées. Mais dans l'état actuel des choses, ce retard peut avoir plusieurs conséquences négatives sur de nombreux aspects de l'économie et de la société du pays.

Tout d'abord, cela peut affecter la connectivité du pays, car moins de vols signifient moins de liaisons aériennes vers les autres pays et donc moins de possibilités d'échanges commerciaux, culturels et scientifiques. Cela peut nuire à l'attractivité touristique du pays, car les touristes peuvent être moins enclins à visiter une destination qui n'a pas une connectivité aérienne adéquate. Cela peut également avoir un impact sur la compétitivité économique de l'Algérie, car les entreprises peuvent avoir des difficultés à se déplacer rapidement et efficacement pour des affaires, des négociations et des foires commerciales à l'étranger.

Par ailleurs, la faiblesse du secteur aérien peut limiter le développement de l'industrie aérienne dans son ensemble. Construction, maintenance et jusqu'à la formation d'une main-d'œuvre qualifiée, car le manque de développement de l'industrie aérienne signifie moins de possibilités d'emploi et de formation pour les pilotes, les ingénieurs, les techniciens et les autres professionnels de l'aviation, ou un manque d'accessibilité à ces métiers. Tout cela pourrait avoir pour conséquence une difficulté à rivaliser avec les compagnies étrangères.

Quelles solutions et quel avenir pour le secteur aérien en Algérie ?

Face au constat du sous-développement du transport aérien en Algérie, il apparaît nécessaire d'engager des réformes structurelles pour relancer ce secteur vital pour l'économie et la société algériennes. Parmi ces réformes, on peut citer l'ouverture du secteur aérien aux investisseurs privés, qui permettrait de diversifier l'offre, de baisser les prix, de créer des emplois et d'améliorer la qualité des services ; la réforme du cadre législatif et réglementaire, qui garantirait une concurrence loyale, une transparence des règles et une protection des droits des consommateurs ; la modernisation des infrastructures aéroportuaires, qui assurerait une plus grande capacité et une meilleure accessibilité ; la formation du personnel du secteur aérien, qui renforcerait les compétences techniques, managériales et commerciales ; la promotion du transport aérien auprès du public algérien, qui stimulerait la demande intérieure et encouragerait le tourisme.

Ces réformes s'inspirent des expériences réussies de pays qui ont libéralisé leur secteur aérien et qui en ont tiré profit. Par exemple, l'Afrique du Sud a privatisé sa compagnie nationale South African Airways en 1999, ce qui a permis d'améliorer sa rentabilité, sa performance et la satisfaction client. Le Maroc a ouvert son ciel aux compagnies étrangères en 2006, ce qui a permis d'augmenter le nombre de passagers, de destinations et de revenus touristiques. L'Inde a autorisé l'entrée des acteurs privés dans le secteur aérien en 1994, ce qui a permis de créer un marché dynamique, compétitif et innovant.

Le transport aérien en Algérie est confronté à de nombreux défis qui l'empêchent de se développer et de répondre aux besoins des voyageurs. Le gouvernement algérien a annoncé son intention d'ouvrir le secteur aérien aux privés, ce qui constitue une opportunité. Pour réussir cette ouverture, il faudra toutefois mettre en place des réformes structurelles, qui garantiront une concurrence loyale, une modernisation des infrastructures et une promotion du transport aérien. Le transport aérien en Algérie a un potentiel énorme, qui ne demande qu'à être exploité.


  1. List of airports in the United Kingdom and the British Crown Dependencies 

  2. List of airports in Algeria, Wikipedia 

  3. Air transport, passengers carried - Algeria, World Bank 

  4. Air transport, passengers carried - Algeria, World Bank 

  5. Ramadan en Algérie : 50 % de réduction sur le transport aérien et maritime 

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