Les absences répétitives et prolongées de Mohammed VI font réagir les Marocains. Ce sujet revient au-devant de la scène à chaque évènement. Pour certains, c'est un abandon de fonction. D'autres y voient une gestion hasardeuse des affaires du pays. C'est le cas de Mohamed Ziane, un ancien ministre qui connait les rouages du pouvoir dans le Royaume et qui l'a servi des décennies durant.

Cet ancien ministre n'a pas hésité à tirer à boulets rouges sur le pouvoir au Maroc dans une interview accordée au journal Maghreb Online1. Il explique qu'« il y a un malaise généralisé. Tout le monde se demande ce qui se passe dans le pays et qui le dirige. Et c'est très grave. Quand la réponse des responsables est que le roi peut diriger un pays depuis l'étranger, je leur dis : un roi peut diriger un pays depuis l'étranger quand il est un roi qui n'a pas de pouvoir exécutif ».

Mohamed Ziane affirme que « lorsque vous avez les pouvoirs dont dispose le roi Mohammed VI, il est difficile de comprendre qu'un dirigeant puisse se permettre le luxe de vous dire : je peux gérer 40 millions de Marocains de l'étranger en utilisant le Zoom, comme nous le faisons maintenant, ou WhatsApp. Je trouve la blague très forte ».

« On se demande où est le roi et pourquoi il est hors du Maroc, et aussi pourquoi les hauts fonctionnaires veulent nous convaincre que c'est normal, alors que c'est totalement anormal. Vous pouvez diriger un pays de l'extérieur, du moins d'une manière très artificielle et formelle, mais si vous devez prendre des décisions alors qu'il y a une guerre en Europe et un conflit au Sahara, avec l'Algérie comme voisin… Vous devez trouver une solution avec la Tunisie, parce qu'elle n'est pas un voisin, mais elle est si proche qu'elle semble l'être », explique l'ancien proche du palais royal.

Le roi Mohammed VI absent dans les moments cruciaux

Mohamed Ziane ne va pas par des chemins détournés. Il affirme que « quand il y a un problème comme la reconnaissance de l'État d'Israël, qui est très dure pour le peuple marocain, et que [le roi] se permet la fantaisie ou le luxe de ne pas être présent pour décider concrètement de ce qui doit être décidé, je vois qu'il y a un malaise général dans le pays et honnêtement, je ne sais pas comment cela va se terminer ».

Sur la question de la vacance du pouvoir au Maroc, l'ancien ministre est catégorique : « plus qu'un vide de pouvoir, il y a un vide de volonté d'exercer le pouvoir. Ce qui est encore pire ».  Il explique que « vendredi prochain (le 14 octobre, NDLR), la Constitution prévoit que le Roi doit se présenter et inaugurer la session d'automne des deux chambres, qui est la plus importante. Le budget de l'État est présenté. En octobre et novembre, il doit y avoir des réunions et des arbitrages sur le budget et la situation est très difficile avec les prix actuels du pétrole, avec le fait que l'Algérie a fermé le gazoduc qui passait par le Maroc et dont nous profitons. Que tout cela se passe et que le roi est absent, aujourd'hui nous ne savons pas s'il va y avoir une augmentation des impôts ou s'il va y avoir un apport de crédits étrangers ou de crédits internationaux et s'il va y avoir une augmentation des salaires pour répondre à cette augmentation du coût de la vie. Mais ce sont des problèmes très difficiles ».

Risque de troubles sociaux au Maroc

À une question sur la solution à cette vacance du pouvoir, Mohamed Ziane déclare : « je ne sais pas si c'est une solution constitutionnelle. Si c'est le cas, le fils aura bientôt 19 ans. Comme il aura 18 ans, il existe un conseil de régence qui a un pouvoir consultatif, mais il disparaît lorsqu'il a 19 ans. Le conseil de régence durerait 3 ou 4 mois en tant que conseiller. Ce serait une bonne chose, car cela permettrait que pendant les 4 ou 5 mois où ils sont maintenant sous la tutelle de certaines personnes qui, au Maroc, n'ont aucune légitimité ou popularité pour dire qu'ils représentent le peuple. Ce sont des gens fidèles à un État qui est plus passé que futur. La situation sociale et économique du pays est si grave qu'informer le peuple que nous allons vivre une transition dans la succession au trône est capable de faire descendre les masses dans la rue et de servir d'impulsion. Et cela serait très difficile à supporter pour le Maroc ».

Ainsi, les risques d'une explosion sociale sont très présents au Maroc. Pour l'ancien ministre Mohamed Ziane, « les masses ne sont généralement pas intelligentes, mais elles sont dangereuses. Dans la situation actuelle, je ne pense pas qu'il soit approprié de déclencher des émeutes et une révolte de masse ». Il explique que « d'abord, parce que les masses ne sont pas intelligentes et que nous ne savons pas où elles peuvent nous mener. Et deuxièmement, parce que croire que les choses peuvent être résolues par la répression est une folie au XXIe siècle. Mais, en fin de compte, il y a des imbéciles partout dans le monde, malheureusement. Et le problème n'est pas qu'au XXe siècle, il y avait moins d'imbéciles, mais qu'ils avaient du mal à atteindre les postes de décision. Aujourd'hui, ils y parviennent très facilement, non seulement au Maroc mais aussi dans de nombreux pays européens ».


  1. Maroc: On ne peut pas diriger le pays avec Zoom, Morocco Mail