Algériens en Ukraine : destins brisés par la guerre, témoignages de ceux qui ont fui

Manifestation contre la guerre en Ukraine

Il y a de cela une année, la Russie a lancé ses « opérations militaires en Ukraine », une guerre à peine déguisée après des semaines de doutes et de peur. Présenté comme une opération éclaire – ou une guerre éclaire –, ce conflit s'enlise. Aucun des deux pays n'a gagné et c'est le monde tout entier qui a perdu. Le conflit a durement impacté l'économie mondiale. Et sur le plan individuel, des destins ont été brisés. De leur côté, les étudiants étrangers qui étaient en Ukraine ont vu leurs vies changer. De nombreux Algériens sont concernés. Ils ont fui l'Ukraine et se sont retrouvés en Europe ou sont rentrés au pays.  Une année plus tard, que deviennent ces Algériens qui ont fui la guerre ?

« Devant l'ampleur de cette guerre, de nombreux Algériens établis en Ukraine, tout en affichant leur inquiétude, ne veulent pas pour autant céder à la panique. C'est le cas de ce ressortissant algérien vivant dans la capitale ukrainienne, Kiev, qui s'est confié à ObservAlgérie en fin d'après-midi de ce jeudi 24 février 2022 », avions-nous écrit dès le début de cette guerre.

« On vit la situation comme la vivent les Ukrainiens et on essaie de ne pas céder à la panique. Ce n'est pas facile, surtout quand tu entends les bombardements à quelques kilomètres de là où tu vis », affirmait notre interlocuteur, qui avait tenu à rassurer quant au sort des membres de la communauté algérienne établie à Kiev. C'était un témoignage du 24 février 2022. De l'eau a couler sous les ponts depuis cette première journée. La guerre s'est intensifiée et les Algériens ont quitté l'Ukraine.

Aubaine pour certains Algériens et désastre pour d'autres

Ce 24 février, 2023, ces Algériens sont ailleurs. Une minorité est rentrée au pays, mais ils sont plus nombreux à avoir quitté l'Ukraine pour des pays européens, notamment la France et l'Allemagne. La rédaction d'ObservAlgérie a contacté trois de ces ressortissants algériens pour recueillir leurs témoignages. Les trois ont connu des fortunes différentes.

Pour certains Algériens, la guerre en Ukraine a ouvert les portes de l'espace Schengen

Omar est arrivé en Allemagne un jour après le début de cette guerre. Schengen avait toujours été son objectif, alors il avait pris le train dans la soirée du 24 février 2022. Après quelques jours de flottements, il s'est inscrit dans une université allemande. Omar étudie et travaille désormais en Allemagne. Il a appris la langue et commence à s'intégrer dans un pays qui lui était étranger il y a à peine une année.

Pour lui, cette guerre en Ukraine a changé sa vie. Ses ambitions ont été revues à la hausse. « En Ukraine je tournais en rond – travailler et étudier n'est pas vraiment chose aisée là-bas », témoigne-t-il en ajoutant : « ici en Allemagne, je sens que je vis, j'évolue et j'arrive à suivre mes études ». Omar conclut que la guerre en Ukraine a été une véritable chance pour lui qui ambitionne de finir ses études et s'installer dans un pays qui l'a accueilli à bras ouverts.

Un autre Algérien nous raconte son histoire. Il s'agit d'Anis, 29 ans, marié en Ukraine, à une Ukrainienne. Il s'y était installé, y avait son travail et sa routine. Mais il a finalement dû quitter le pays avec son épouse une semaine après le début de la guerre. Il y a laissé tout ce qu'il avait. Ils se sont rendus en Belgique, chez de la famille.

La Belgique leur a accordé une « protection temporaire », comme à tous les Ukrainiens, ainsi qu'une aide mensuelle de 1690 euros (pour un ménage sans enfants, 1000 €/mois pour une personne seule). Cette aide, valable une année, vient d'ailleurs de leur être renouvelée.

Bien que son statut en Belgique soit avantageux et qu'il puisse s'y installer dans la durée, Anis compte retourner « au pays » une fois la guerre terminée – à une condition près. « Si la guerre dure plus de 2 ans, je compte m'établir en Belgique. Je ne veux pas avoir à tout recommencer… encore une fois », nous confie-t-il, nous assurant que s'il reste en Belgique pendant 3 ans, lui et sa compagne pourront demander un titre de séjour permanent.

Réfugié et sans-papiers : La situation compliquée de Said

Cependant, les dommages collatéraux de la guerre en Ukraine sont beaucoup plus importants pour d'autres. Said, qui a vu son visa « expirer » en Ukraine pour un retard d'inscription à l'université, a décidé d'y rester et de ne pas retourner en Algérie.

En Ukraine on lui a demandé de retourner au bled pour demander un autre visa, mais ayant moins de 30 ans et n'ayant pas passé son service militaire, la peur l'a emporté et il a décidé de rester en Ukraine.

Il y a vécu 7 ans et y a travaillé pendant 6 ans après l'université. L'Ukraine est devenue sa nouvelle patrie. Avec sa compagne, une Ukrainienne, il a tout de même fini par accepter de fuir vers l'Europe une dizaine de jours après le début de la guerre.

Pour ce couple, le voyage était des plus difficile. Les bombardements étaient réguliers et la ville de Kiev était assiégée. « On est parti à la gare, on a essayé de monter dans 2 trains… pleins. On a réussi à en prendre un troisième, par chance. Le trajet à la frontière polonaise a duré 14 heures. Puis de Varsovie à Berlin, et de Berlin à Paris ».

Entré dans l'espace Schengen légalement, avec un cachet sur son passeport, Said a ensuite découvert que la France n'allait pas le considérer au même titre que les autres réfugiés ukrainiens. Depuis, il ne sait pas ce que lui réserve le sort.

« En France, à la préfecture, on m'a dit : "vous êtes Algérien, vous pouvez aller en Algérie, qui vous offrira la sécurité". Malgré le fait que j'étais avec ma conjointe de plusieurs années (3 ans de vie commune). L'assistante m'a dit : "ce n'est pas moi qui peux prendre cette décision, mais mes supérieurs". Elle a pris mon dossier et n'a même pas jeté un œil à nos formulaires, qui pourtant indiquaient notre relation. Depuis, la préfecture ne nous a jamais recontactés. Dossier "jeté", comme on dit ».

Said comptait sur la promesse de la France d'accueillir les personnes dans le cas « membre de la famille d'une personne relevant d'un des cas [acceptés] (membres de la famille : conjoint, enfants mineurs célibataires et les parents à charge) ». Mais voilà, personne ne lui a jamais demandé de preuve de vie commune.

Lui et sa compagne ont déposé une deuxième demande au niveau du centre d'accueil pour Ukrainiens. Là encore, sans résultat. On lui a même déclaré : « vous êtes désormais sans-papiers ». C'est ainsi que la France tourne le dos à des gens qu'elle a pourtant promis d'accueillir, et c'est ainsi qu'elle fabrique des sans-papiers.

Pour Said, cette guerre finira inéluctablement. À la question « qu'allez-vous faire après la guerre ? » il répondra : « sans aucun doute, nous retournerons en Ukraine ; travailler et vivre là-bas. Chez nous ». Oui, Said a été adopté par l'Ukraine, un pays qu'il considère comme le sien.

Et oui, la guerre transforme, chamboule et apporte toujours son lot de désolation.

Auront peut-être lieu
les adieux déchirants
des humains à la Terre
par la volonté d'un tyran
qui se croit dieu
Plus de ciel bleu
ni de soleil éblouissant
que le règne du feu
et les derniers cris des innocents
que le noir entre nous et la lumière
la fin de toute vie
et l'hiver nucléaire
Cet homme qui est-il
pour tant haïr son espèce
pour qu'en moins d'un battement de cils
le vivant disparaisse ?

C'est ainsi que le poète Kamal Zerdoumi parlait de la guerre. Il a peint les despotes qui marchent sur des cadavres pour gonfler leur ego au nom de la grandeur des nations.

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