Au Maroc, comme dans les autres pays dits musulmans, la sexualité est tabou. Dans ce pays conservateur, les relations sexuelles hors mariages sont punies par la loi. Elles sont également jugées indécentes par la société. Quant à l'avortement, il est interdit. La sociologue, journaliste et écrivaine Sanaa El Aji El Hanafi lutte depuis des années pour faire bouger les lignes.
L'avortement est pratiqué clandestinement. L'amour hors mariage existe.
Cette femme engagée souligne que malgré les interdits, la sexualité hors mariages existe au Maroc. L'avortement est également pratiqué clandestinement, ce qui met en danger de nombreuses femmes. Dans un entretien accordé à Radio-Canada, la sociologue explique qu'« au Maroc, toute sexualité en dehors du mariage est interdite non seulement légalement, mais aussi par la religion et est mal vue sur le plan social. Mais elle existe ! On voit qu’il y a des relations d’amour entre hommes et femmes. Les moyens de contraception sont en vente libre. Beaucoup d’enfants naissent hors mariage ».
Dépassé ce constat, Sanaa El Aji El Hanafi souligne qu'en réalité, « il y a une reconnaissance tacite dans la société que la sexualité existe avant le mariage entre personnes adultes et consentantes. De l’autre, il y a cet article 490 du Code pénal qui interdit les relations sexuelles. C’est absurde et ridicule. La société évolue beaucoup plus que les lois et que les discours ».
C'est à partir de cette réalité sociale et de l'évolution des meurs, que les législateurs ne prennent pas en considération, que « le mouvement Hors-la-loi est né en 2019 (appuyé par 490 personnalités, en référence à l’article 490). C’est une façon de dire que d'une certaine façon, on est tous des hors-la-loi ! On a tous eu des relations sexuelles en dehors du mariage. Donc, soit vous nous mettez tous en prison, soit, à un moment donné, il faut un débat sérieux sur la sexualité ! »
L'avortement est permis aux riches, interdit aux pauvres
La sociologue revendique donc un débat sur ces questions sociales. Dans la société, ce qui est interdit à certains ne l'est pas pour d'autres. Au fait, c'est une question de classe sociale. Les pauvres ne peuvent pas se permettre des relations hors mariages alors que les nantis peuvent tout se permettre. « Dans ma thèse de doctorat, j’ai mis en évidence une ségrégation économique. Les gens qui n’ont pas les moyens vont subir davantage ces atteintes aux libertés parce que, quand on a les moyens, on peut se permettre de louer deux chambres d’hôtel. On peut se permettre d’aller dans des hôtels 5 étoiles qui n’exigent pas systématiquement l’acte de mariage », affirme dans ce sens la journaliste marocaine.
En ce qui concerne l'avortement, c'est le même cas. Sanaa El Aji El Hanafi souligne que c'est la « même chose pour l’IVG. Quand on a les moyens, on peut partir à l’étranger, dans les pays où c’est autorisé, en Europe ou en Tunisie. Au Maroc, des médecins acceptent de le faire, mais font payer le prix du risque et du danger de l’interdiction juridique ». Militante pour le droit à l'interruption volontaire de grosse (IVG), la sociologue plaide pour l'« arrêt volontaire de grossesse, parce qu’il faut considérer le choix de la maman. On est dans une société qui veut obliger une femme à être une maman, qui parle du droit à la vie du bébé, mais en fait, on s’intéresse au droit à la vie de l’enfant pendant les neuf mois qu’il passe dans le ventre de sa mère. Parce que dans une société comme le Maroc, dès qu’il naît, il est rejeté par la société. Il est semi-rejeté par les lois, parce qu’un enfant né hors mariage peut quand même bénéficier d’une identité depuis 2003. Mais il fera face à beaucoup de difficultés dans sa vie de tous les jours s’il n’a pas été reconnu par le père ».
Sanaa El Aji El Hanafi affirme également que « dès qu’il s’agit des droits des femmes, des minorités sexuelles, des minorités religieuses ou de la liberté de conscience, on va toujours demander si la société est prête ! Un humoriste a déjà dit que si les hommes pouvaient tomber enceinte, l’IVG serait autorisée dans les aires de repos des stations-service. Un homme peut avoir des relations sexuelles et se permettre d’avoir une vie libre par la suite, même quand cela donne lieu à une grossesse ».
Pour la sociologue, au Maroc, les politiciens n'ont pas le « le courage de toucher à ces thématiques-là. Même les partis qui se disent libéraux, les partis de gauche, n’abordent pas de manière frontale ce type de débats. Ils sont dans un opportunisme politique et électoral, dans une période de populisme autour des traditions et de la religion. Certains peuvent être d’accord avec vous en aparté, dans des échanges privés, mais dès qu’il s’agit de prendre la parole publiquement, ils vont reprendre le discours des traditions marocaines, de la religion et de la culture musulmanes ».
Concernant l'avenir, la sociologue affirme : « J’ai espoir, parce que le débat n’est plus élitiste aujourd’hui. La société marocaine fait des pas de géant. Peut-être que dans le passé, ces débats étaient liés à la bourgeoisie, à l’élite intellectuelle. Je pense qu’aujourd’hui, ils touchent toutes les catégories sociales et de tous les niveaux d’éducation. C’est en train de s’élargir progressivement, en tout cas dans le milieu citadin ».