La France va-t-elle souffrir d'un manque d'immigration de travail ?

Immigration

Le projet de loi sur l'immigration focalise les débats, en France. Entre les opposants à ce projet qui y voient un appel d'air pour une arrivée massive d'étrangers et ceux qui soutiennent la démarche du gouvernement, les avis sont partagés. Mais pour de nombreux économistes, la France souffre énormément de main d'œuvre dans plusieurs secteurs d'où la nécessité d'encourager l'immigration de travail.

Alors que le Sénat dominé par la droite a décidé d'amputer le projet de loi sur l'immigration de l'un de ses importants articles concernant la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, les économistes Madeleine Péron et Emmanuelle Auriol, affirment dans une tribune publiée le vendredi 17 novembre dans le journal Le Monde que « le manque d'immigration de travail handicape la France ». Selon elles, le débat en France sur l'immigration se focalise sur les volts « identitaires et sécuritaires » au lieu de son aspect « économique »1.

Dans leur tribune, les deux économistes en question affirment que l'immigration pour motif économique occupe une « portion congrue en France », et le pays « se prive, pour de mauvaises raisons, d'un fort potentiel de croissance à long terme et, à court terme, de substantiels bénéfices économiques et sociaux ». Chiffre à l'appui, Madeleine Péron et Emmanuelle Auriol, expliquent que « la France est un pays de faible immigration ». Le flux annuel d'immigrés entrants était de 316'174 personnes en 2022, selon le ministère de l'intérieur, soit environ 0,45 % de la population française.

« L'immigration de travail est négligeable en France »

De ce fait, l'immigration pour motif économique est négligeable en France : en 2022, elle représentait seulement 16 % des nouveaux visas délivrés. Et ce, alors même que, selon une enquête de Pôle emploi, 61 % des recrutements sont jugés difficiles, principalement par manque de candidats et de compétences adéquates. « Les bienfaits d'une immigration de travail sont considérables à court terme, pour répondre à des tensions fortes et persistantes dans certains secteurs cruciaux ».

Les métiers dits « en tension » s'observent ainsi à tous les niveaux de qualification : La France manque aussi bien des ouvriers spécialisés que des médecins, des cuisiniers, des infirmiers, des banquiers ou encore des informaticiens, notent les auteurs de la tribune. « Faute de personnels, des services d'urgence ferment, des citoyens âgés dépendants sont privés de soins, des entreprises renoncent à créer de l'activité, voire ferment ou se délocalisent », observent-elles.

« L'immigration de travail stimule la croissance »

Citant les études réalisées par le Conseil d'analyse économique, elles affirment que « l'immigration de travail a, à court terme, un impact négligeable sur les finances publiques, dans la mesure où les immigrés travaillent, cotisent et paient des impôts ». A long terme, « l'immigration de travail, en particulier qualifiée, stimule la croissance en favorisant l'innovation, l'entrepreneuriat et l'insertion dans l'économie mondiale », ajoutent-elles.

Les auteurs de la tribune font un constat sans appel. Selon les deux économistes, contrairement à d'autres pays développés, « la France n'a pas de politique d'immigration », notamment économique. « Notre pays subit de plein fouet une pénurie de main-d'œuvre et se prive des bienfaits à long terme de l'immigration de travail », alertent-elles. « A l'instar de ce qu'ont fait des pays comme le Canada, l'Australie ou l'Allemagne, il est grand temps de changer nos législations et de mettre en œuvre une véritable politique d'immigration économique », suggèrent-elles.

Et de rappeler les recommandions formulées en novembre 2021 par le Conseil d'analyse économique visant à mettre en place une politique migratoire ambitieuse au service de la croissance. Il s'agit notamment de la poursuite des efforts destinés à numériser, centraliser et systématiser le traitement des visas de travail émanant des entreprises avec des critères d'admissibilité clairs et prévisibles, une évaluation du dispositif « Passeport talent » afin de renforcer son efficacité et d'intensifier son octroi, et la facilitation de la transition études-emploi en fluidifiant et en étendant l'accès à des titres de séjour pour les étudiants.

« On manque de bras et de compétences partout sur le territoire »

Pour les deux économistes, le débat sur l'immigration en France est « monopolisé par des partis politiques qui ont fait de la lutte contre l'immigration leur fonds de commerce. En faisant des amalgames entre immigration, perte d'identité, délinquance et terrorisme, ils laissent à penser que l'immigration est un fardeau ». Or les Français ne sont pas dupes : ils sont même favorables à l'immigration intracommunautaire et n'ont pas de problème avec l'immigration de travail, soulignent-elles.

« On manque de bras et de compétences partout sur le territoire. Cette situation constitue un frein à notre économie et, quand il s'agit de médecins et d'infirmiers, un péril pour la sécurité et la santé des Français », alertent les rédactrices de la tribune en citant l'exemple de l'Italie qui prévoit d'accorder 122'705 visas de travail pour les extracommunautaires en 2023. « Il est grand temps que l'Etat reprenne la main sur la politique migratoire. Les enjeux, tant de court terme pour les secteurs en tension que de long terme pour la croissance et l'innovation, sont vitaux pour notre pays », écrivent Madeleine Péron et Emmanuelle Auriol pour conclure.


  1. « Le manque d’immigration de travail handicape la France », 17 novembre 2023, Le Monde 

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