Au lendemain du soixantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie et à la faveur d'une « nouvelle » géopolitique ébauchée par une guerre sur le sol européen, des vérités, longtemps tues – ou dites à demi-mot – semblent décidés à se montrer au grand jour. Et sur la liste de ces vérités figure le viol dont ont été victimes beaucoup d'Algériennes et… d'Algériens.
L'Algérie vient tout juste de rendre hommage aux victimes noyées un certain 17 octobre 1961 dans les eaux de la Seine. Et le lendemain, le 18 octobre, le président français, Emmanuel Macron, rendra – certes discrètement – hommage aux anciens combattants. Macron a parlé de « terreur », de « torture » et même du « terrorisme » dont était coupable « une minorité » de ces anciens combattants. Petit oubli : les viols.
Viols durant la guerre d'Algérie : une pratique très courante
Ancienne journaliste chez Le Monde, Florence Beaugé, qui a participé à la réalisation d'une BD retraçant le parcours de Louisette Ighilahriz, n'y est pas allée avec le dos de la cuillère pour dénoncer le silence qui entoure la question. « Tout au long de l'année dernière, le président Emmanuel Macron a accompli des gestes mémoriels sur la guerre pour l'indépendance de l'Algérie, sur la question des disparus notamment […] mais il n'a rien dit sur les viols », a-t-elle déclaré à Middle East Eye1. La journaliste ajoute que pourtant, « cette question est essentielle, car les viols étaient une pratique très courante qui concernait aussi bien les femmes que les hommes ».
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Viols : les hommes d'abord…
L'ex-journaliste refuse de voir le viol « comme un dommage collatéral de la torture ». Il s'agit, selon elle, d'une torture spécifique qui, à cause du silence qui l'entoure, transmet les traumatismes de génération en génération ». Et des « vérités » affreuses dont elle fait part, il y en a bien de celles qui glacent : « le viol des hommes a commencé dès le début de la conquête de l'Algérie en 1830. C'était une méthode d'interrogatoire comme une autre dans les commissariats et les postes de gendarmerie », dit-elle. Et d'ajouter : « Les hommes étaient sodomisés avec des bouteilles, mais se taisaient sur ce qu'ils avaient subi ».
« Quant au viol des femmes, il est devenu systématique au début de la guerre d'indépendance en 1954. Il se pratiquait très souvent dans les mechtas (hameaux) et s'est intensifié pendant la bataille de l'Ouarsenis à partir de 1956 et la bataille d'Alger en 1957 », explique Florence Beaugé.
Louisette Ighilahriz : un témoignage glaçant
Florence Beaugé regrette que « le viol reste encore aujourd'hui un non-dit de la guerre d'Algérie ». Pourtant, il constitue, selon elle, « un des obstacles de la réconciliation des mémoires » entre les deux pays. Aussi trouve-t-elle inconcevable que le président français Emmanuel Macron n'en parle pas.
Par ailleurs, la BD, que le journal Le Monde et La Revue dessinée ont consacrée à la question, revient sur l'un des cas les plus abominables de viol jamais perpétrés durant la guerre d'Algérie : celui dont était victime Louisette Ighilahriz. Celle-ci a déclaré à Florence Beaugé : « J'étais nue, toujours nue. Ils pouvaient venir, une, deux, trois fois par jour. Dès que j'entendais le bruit de leurs bottes dans le couloir, je me mettais à trembler. Ensuite, le temps devenait interminable. Les minutes me paraissaient des heures et les heures, des jours. Le plus dur, c'est de tenir les premiers jours, de s'habituer à la douleur. Après, on se détache mentalement, un peu comme si le corps se mettait à flotter ». Terrible !
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Florence Beaugé : « Le viol reste un non-dit de la guerre d’Algérie », Middle East Eye ↩