La question de l’immigration a toujours suscité le débat en France. Si la majorité de la société française accepte de plus en plus les immigrés, la scène politique glisse, elle, vers l’extrême droite connue pour son discours anti-immigration. Une contradiction que le journal Le Monde a tenté d’expliquer à travers une enquête intéressante publiée cette semaine.
C’est un constat paradoxal. Au moment où la société française affiche dans sa majorité une tolérance envers les minorités raciales ou religieuses, les partis de la droite et de l’extrême droite, hostiles à l’immigration, ne cessent de gagner du terrain sur la scène politique. C’est le constat établi par une longue enquête publiée dans le Journal Le Monde. La vision des Français d’aujourd’hui par rapport à l’immigration n’est pas celle des années 1960, comme le montre un documentaire diffusé en 1961 par la RTF cité par le journal français.
Les Français interrogés à l’époque dans la rue assumaient ouvertement leurs préjugés racistes, par rapport par exemple aux mariages mixtes. Plus de six décennies après, « ces images semblent issues d’un autre monde », écrit le journal. La xénophobie, certes, n’a pas disparu, mais les couples mixtes se sont multipliés en France et les propos ouvertement racistes raréfiés, constate Le Monde, en se référant à l’évolution de l’Indice longitudinal de tolérance (ILT).
Immigration en France : « La diversité est devenue à la fois plus banale et plus acceptable »
Réalisé par le chercheur Vincent Tiberj à partir de l’enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), l’Indice longitudinal de tolérance (ILT) est sans appel : Depuis 30 ans, la tolérance a considérablement progressé, souligne-t-il. « L’évolution de l’indice montre que la diversité est devenue à la fois plus banale et plus acceptable », résume le professeur de sociologie à Sciences Po Bordeaux.
L’indice de tolérance envers les immigrés est ainsi passé de 50/100 au début des années 1990 à 65 à la fin des années 2010, avant d’atteindre, en 2022, le record de 68. Les Français qui considèrent que les immigrés sont une source d’enrichissement culturel est passée de 44% en 1992 à 76 % en 2022. Le soutien des Français au droit de vote des étrangers a aussi monté en flèche (de 34 % en 1984 à 58 % en 2022) tandis que la proportion des Français qui trouvent qu’il y a trop d’immigrés en France a baissé de 69 % en 1988 à 53 % en 2022.
Pour Vincent Tiberj, le recul des préjugés envers les immigrés est lié à « l’élévation du niveau d’éducation » des Français. C’est aussi le fruit du « renouvellement des générations », ajoute-t-il. « La xénophobie est le fait des personnes les plus âgées, non parce qu’elles sont devenues conservatrices avec le temps mais parce que leurs préjugés sont un lointain écho du passé », poursuit le chercheur.
La tolérance envers les étranges n’empêche pas la montée de l’extrême droite
Si la tolérance de la majorité des Français envers les immigrés est un constat établi, l’enquête du journal Le Monde estime qu’il y a « quelque chose d’étrangement surréaliste ». Cela se vérifie lorsque l’enquête évoque en parallèle la montée en puissance de l’extrême droite dans le paysage politique français. Un constat surréaliste dans un pays où Marine Le Pen, une farouche opposante à l’immigration, est arrivée à deux reprises au second tour de la présidentielle et où son parti, le Rassemblement National (RN) représente le deuxième groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, constate l’auteur de l’enquête.
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Le paradoxe est en effet frappant. Le parti de Le Pen qui obtenait des scores infimes (0,7 % des voix à la présidentielle de 1974) dans une France où la xénophobie était largement partagée au sein de la société, enchaîne ces dernières années des triomphes électoraux dans un pays où les minorités ethniques et religieuses, donc l'immigration, sont de mieux en mieux acceptées, souligne le journal.
Pour Vincent Tiberj, ce paradoxe est le fruit d’un phénomène qu’il a baptisé « la politique des deux axes ». Dans les années 1970, les déterminants du vote étaient selon lui, essentiellement « socio-économiques ». Mais au fil du temps, « les électeurs votent de plus en plus souvent non en fonction de leurs opinions sur les nationalisations ou le niveau du smic, mais sur leurs positions sur le mariage homosexuel ou l’islam », explique-t-il.